
Vaste
territoire désertique très peu peuplé,
cette ancienne colonie italienne est devenue l'un des pays africains
les plus riches. Ses ressources en hydrocarbures l'ont brusquement
propulsée au-devant de la scène internationale,
où elle tient un rôle prépondérant,
sous la férule du colonel Kadhafi, notamment au sein
de l'OPEP et du monde arabe, même si son implication dans
des actions terroristes a eu pour effet d'accentuer un isolement
qu'elle cherche à rompre.
Géographie
physique
Limitrophe
de l'Égypte, du Soudan, du Tchad, du Niger, de l'Algérie
et de la Tunisie, ce pays, qui s'étend sur 1 759 540
km2 (trois fois la superficie de la France), borde la Méditerranée.
Si son milieu physique semble ingrat et inhospitalier, en revanche
la richesse de son sous-sol est à l'origine de son récent
développement économique.
Relief
La Libye
occupe, avec l'Algérie, la partie centrale du Sahara.
Moins rigide que le reste du grand désert africain, son
territoire a ployé lors des submersions qui l'ont couvert
d'épaisses assises sédimentaires. Ces séries
déchirées en vastes boutonnières ont révélé
à de hautes altitudes des affleurements de roches métamorphiques
provenant d'une ancienne chaîne africaine altérée
par des épanchements volcaniques, comme le Hoggar et
le Tibesti. Les eaux circulent dans d'anciennes vallées
allant vers les zones de subsidence de la partie septentrionale
du pays. À partir du Fezzan se dirige vers le nord le
lit fossile d'un fleuve qui s'écoulait du Tibesti au
golfe de la Grande Syrte. Ces paléovallées asséchées
sont recouvertes par d'immenses zones de cailloux (regs) et
de sable (ergs).
Le long du rivage s'étire une étroite plaine littorale,
désertique au centre. Au sud de la région côtière
de la Cyrénaïque s'étale le Sarir, immense
dépression sableuse et pierreuse. Au sud-ouest de la
capitale culmine, à moins de 1 000 m d'altitude, le djebel
Nefousa, massif qui barre, au sud, la Tripolitaine. Le djebel
Akhdar, en Cyrénaïque, surplombe la zone côtière
située au nord-est de Benghazi. Les hauts plateaux de
la Hamada el-Homra et de Mourzouk s'élèvent entre
600 et 800 m. Le dôme volcanique du djebel el-Haroudj
el-Aswad (1 200 m) occupe le centre du pays. À la frontière
tchadienne, le Tibesti culmine à 3 376 m.
Climat àl'inverse du Maghreb, où les bourrelets
telliens, arrosés, s'interposent entre mer et désert,
la plate-forme saharienne atteint ici les rivages méditerranéens.
La côte aride du golfe de Syrte reçoit à
peine 100 mm de pluies par an. Au sud du 30e parallèle,
c'est-à-dire sur 90 % du territoire, les précipitations
annuelles sont inférieures à 25 mm et les variations
inter annuelles sont fortes. Les stations de Mourzouk et de
Koufra peuvent rester dix années sans précipitations.
La Libye est un pays hyper aride caractérisé par
un climat torride, surtout lorsque souffle le vent du sud (ghibli).
À Azizia, dans le sud du pays, la température
atteint parfois plus de 58 °C. Seule la frange méditerranéenne
et le djebel Akhdar (la "montagne verte") reçoivent
plus de 400 mm d'eau.
Ressources
naturelles
A la
soudure des zones centrale et orientale du Sahara, deux systèmes
de failles parallèles méridiennes expliquent la
profonde indentation du golfe de la Grande Syrte entre Tripolitaine
et Cyrénaïque, dépression que la mer a antérieurement
recouverte. À l'est du 20e parallèle, les dépôts
sédimentaires s'étagent entre 2 000 et 7 000 m.
Leurs structures poreuses et perméables regorgent d'hydrocarbures,
dont l'exploitation est assez aisée. Les réserves
pétrolières sont évaluées à
3,1 milliards de tonnes, soit environ 2,3 % du total mondial.
Les ressources en gaz naturel ne dépassent pas 1 % des
réserves mondiales. Les nappes aquifères fossiles,
dans le sud du pays, sont également très développées.
Population
Avec
620 000 immigrés, la Libye compte 5,6 millions d'habitants
[estimation 1997], dont 90 % sont répartis dans les baladiyats
(circonscriptions administratives) du littoral. Le reste du
pays n'est que sporadiquement occupé. La faiblesse de
la densité (3,1 h./km2) [estimation 1997] est donc sans
signification. Le taux d'accroissement naturel de la population
est resté très élevé (3,4 % par
an) [1995] grâce au maintien du comportement nataliste
(taux de natalité de 44 , indice synthétique
de fécondité de 6,4) et à la chute spectaculaire
de la mortalité, surtout pour les enfants en bas âge.
L'afflux de travailleurs étrangers contribue aussi à
l'accroissement global de la population. Le nombre d'immigrés
(84 000 en 1970) a culminé en 1985 (800 000), avant de
chuter quelque peu ensuite. Ces travailleurs viennent principalement
des pays arabes, notamment d'Égypte (25 %) et de Tunisie
(20 %). La Libye fait de plus en plus appel à une main-d'oeuvre
d'origine asiatique, essentiellement turque, coréenne,
philippine, indienne et pakistanaise. Toutefois, alors que plus
de 70 % des Libyens habitent dans des villes, la société
reste fondamentalement dominée par les Bédouins,
qui ont très tôt investi les villes et le pouvoir.
Économie
L'arrivée
massive de travailleurs étrangers est liée à
l'augmentation spectaculaire du marché de l'emploi, elle-même
consécutive à la mutation économique opérée
depuis les années 1960. Les orientations en vue du développement
industriel ont été facilitées par la rente
pétrolière et marquées par le volontarisme
d'État prôné par Muammar al-Kadhafi dès
son accession au pouvoir. La restructuration spatiale a cimenté
les différentes entités historiques, et la création
d'une nouvelle capitale à al-Djofra, au centre du pays,
est à l'ordre du jour.
Agriculture
Désert
agricole jusqu'en 1980, la Libye a engagé d'importants
investissements en matière hydraulique et agronomique.
Dans l'oasis de Koufra, la mise sur pivot de 100 000 ha a permis
de multiplier par vingt la production de céréales
depuis le début des années 1970. La "grande
rivière artificielle" sur 4 000 km de canalisations
enterrées, permet de transférer 6 millions de
mètres cubes d'eau par jour des nappes de Tazerbo, de
Sarir et de Koufra vers le réservoir géant d'Ajdabiya.
Le nord du pays (Cyrénaïque, Syrte) devrait en bénéficier
largement: 250 000 ha y seront irrigués, principalement
en Cyrénaïque, où, malgré le relief
karstique, les ressources en eaux souterraines ne suffisent
pas aux besoins des villes et de l'agriculture. Une autre branche
amènera l'eau des nappes du Fezzan à Tripoli.
Tous ces grands travaux font appel à une technologie
étrangère perfectionnée. Les réserves
en eau, non renouvelables, demeurent dans les faits assez mal
utilisées. Par ailleurs, la main-d'oeuvre agricole n'est
que pour une très faible part nationale.
Le
pétrole
Le pétrole
a commencé à être exploité en 1961.
Plusieurs facteurs expliquent la rapide progression de la production,
qui a fait de la Libye, avec 161 millions de tonnes par an,
le quatrième producteur mondial en 1970. Les atouts libyens
dans ce domaine sont nombreux: qualité, abondance et
accessibilité des sites (profondeur minime, faible distance
des côtes), gisements situés à l'ouest du
canal de Suez et à seulement 500 km des raffineries siciliennes.
Une législation très avantageuse pour les capitaux
étrangers investis dans le pétrole, la rente confisquée
par la cour royale et l'importance des bouleversements socio-économiques
engendrés par la manne pétrolière sont
à la base du putsch de 1969. L'État prend alors
rapidement le contrôle du secteur pétrolier en
nationalisant la distribution (1970) et la production (1973).
Les livraisons vont se stabiliser autour de 50 millions de tonnes
à partir de 1980. Avec l'augmentation du prix du baril
décidée par l'OPEP (Organisation des pays exportateurs
de pétrole), où le poids de Tripoli était
grand, la Libye a conforté sa place.
L'or noir a bouleversé les paysages et la société.
De la trentaine de champs pétrolifères situés
au sud du golfe de la Grande Syrte s'échappe un réseau
d'oléoducs et de gazoducs rejoignant 5 terminaux équipés
pour recevoir des supertankers. Les télécommunications
et les réseaux terrestres et aériens - on compte
jusqu'à 45 aérodromes accessibles à des
jets d'affaires dans une seule province pétrolière
- ont permis d'assurer la desserte des zones de production.
Les travailleurs ont afflué vers ce "Sahara pétrolier",
mais aussi et surtout vers les zones d'emplois diversifiés
de Tripoli et de Benghazi. Dans le secteur de l'industrie et
du bâtiment, les étrangers sont plus nombreux que
les Libyens. Ils constituent par ailleurs plus du tiers des
fonctionnaires (éducation, santé) et des employés
de bureau. L'afflux de ces travailleurs, d'abord rendu nécessaire
par les grands travaux de développement, a entraîné
le triplement de la population active entre 1970 et 1990. À
la différence de beaucoup d'autres pays arabes producteurs
de pétrole, qui ont privilégié le recyclage
des pétrodollars dans la finance internationale, la Libye
consacre 80 % de ses revenus pétroliers à des
investissements de développement.
Industrie
La richesse
en hydrocarbures a fait naître une industrialisation sur
l'eau. Au début des années 1980, des complexes
chimiques ont été réalisés, notamment
à Ras Lanouf. Une usine sidérurgique, capable
de produire 800 000 tonnes d'acier par an, a vu le jour à
Misurata. Des usines d'engrais et d'aluminium limitent également
le recours aux importations. L'augmentation du niveau de vie
a favorisé l'essor d'industries légères
de biens d'équipement: secteur du bâtiment et des
travaux publics, industries agro-alimentaires, montage de camions,
d'autobus, de réfrigérateurs et de téléviseurs.
Pour l'essentiel, ces unités sont implantées à
Tripoli.
Histoire
Même
si elle ne jouit pas du même prestige que ses voisins
égyptien et tunisien, la Libye a participé à
plusieurs reprises à la "grande histoire".
Sa position entre le Maghreb et l'Égypte en a fait un
pont nécessaire pour les empires ayant contrôlé
les rivages de la Méditerranée: romain, arabe
puis ottoman. La proximité du Sahel en a fait aussi un
enjeu dans la pénétration coloniale de l'Afrique
noire. Enfin, les batailles de Tobrouk, de Bir Hakeim et d'el-Alamein
(en Égypte, mais à la frontière libyenne)
au cours de la Seconde Guerre mondiale témoignent du
rôle stratégique de cette portion du flanc méridional
de la Méditerranée.
La
Libye de Kadhafi
C'est
dans ce Sahara sans frontière, arabe et islamisé,
que s'inscrit l'action de Muammar al-Kadhafi. La découverte
du pétrole et le brutal enrichissement du pays dans les
années 1960 avait ébranlé les structures
encore féodales. Idris Ier fut renversé par un
coup d'État militaire le 1er septembre 1969, à
l'issue duquel fut créé un Conseil de la révolution,
dirigé par Kadhafi. Panarabe, réformiste, religieux,
le nouveau maître de Tripoli est cependant trop "nassérien"
pour devenir islamiste. Les tentatives d'union avec d'autres
pays - Soudan et Égypte (1969), Égypte et Syrie
(1971), Égypte (1972), Tunisie (1974), Syrie (1980),
Tchad (1981), Maroc (1984), Soudan (1990) - et la poussée
expansionniste vers l'Afrique sahélienne témoignent
d'une conscience bédouine d'appartenir à un monde
arabo-islamique plutôt qu'à un territoire bien
délimité. La politique internationale de Kadhafi
s'oriente donc toujours vers la recherche de l'unité
de la Libye avec d'autres pays arabes. Mais ses unions improvisées
aboutissent à des échecs.
D'un autre côté, l'intransigeance de Kadhafi à
l'égard d'Israël l'amena à condamner la politique
d'Anouar el-Sadate au point d'entraîner avec l'Égypte
un bref conflit armé (juillet 1977). Kadhafi est aussi
intervenu au Tchad et a pris la bande d'Aozou (1973); ses troupes,
appuyant le gouvernement d'union nationale de transition (GUNT)
contre Hissène Habré, ont occupé le nord
du pays. De sévères défaites, en 1987,
ont contraint la Libye à reconnaître le gouvernement
de H. Habré et à négocier, en 1989, l'évacuation
de la bande d'Aozou, en échange des prisonniers libyens
du Tchad.
L'agitation
libyenne au sein de l'OPEP a connu plus de succès: Tripoli
a toujours prôné une augmentation du prix du brut
et une diminution corrélative de la production. La Libye
a réduit de moitié ses ventes entre 1970 et 1974,
puis une nouvelle fois de 1974 à 1987 (alors que d'autres
partenaires au discours analogue augmentaient leur production).
Mais son poids dans l'OPEP a décliné avec la montée
en puissance de l'Arabie Saoudite à la suite de la guerre
du Golfe (1991). La Libye s'est souvent trouvée confrontée
aux intérêts occidentaux. N'ayant ni les moyens
humains ni la capacité organisationnelle suffisants,
ses opérations s'apparentent à une "gesticulation"
de faible portée. Les signes de modération manifestés
depuis la fin des années 1980 doivent être intégrés
dans l'ébauche d'une nouvelle tactique de Tripoli. Ainsi,
lors de la guerre du Golfe, la Libye, tout en condamnant l'intervention
des États-Unis, a pris ses distances avec Bagdad. Après
les échecs d'union et les bombardements américains
de Tripoli et de Benghazi (1986) - en représailles contre
les actions terroristes sans doute commanditées par Tripoli
-, la "realpolitik" a conduit le président
du Conseil du commandement de la révolution (CCR), le
colonel Kadhafi, à concentrer ses efforts sur la restructuration
économique du pays, malgré les sanctions mises
en place par l'ONU en 1992: un embargo militaire et aérien
doit frapper la Libye tant que celle-ci n'aura pas livré
les suspects impliqués dans les attentats aériens
de 1988 (Boeing de la compagnie PanAm) et de 1989 (DC-10 de
la compagnie UTA).
La
politique économique et sociale
Inspirée
du "Livre vert" a été radicale à
ses débuts: dissolution des administrations d'État,
répression des opposants, limitation de la propriété
foncière et immobilière, suppression du secteur
privé, interdiction de recruter des salariés (seuls
des associés au capital peuvent augmenter les effectifs
d'une entreprise), promotion sociale de la femme (y compris
sur le plan militaire). Elle a entraîné des réactions
de la part des dignitaires de l'armée, des entrepreneurs
et des forces sociales conservatrices. La manne financière
octroyée par les revenus pétroliers avait, jusqu'au
début des années 1980, servi à contenir
ces mécontentements. Or des bouleversements se sont opérés
depuis lors: privatisation des entreprises industrielles étatisées,
arrestations d'islamistes, discrétion en matière
de politique étrangère.
Société
Avec
les projets économiques et le remodelage territorial,
la société a été bouleversée
par les récentes mutations. La rente pétrolière
a été volontairement canalisée par l'État
dans deux directions majeures: sociale et économique.
Les équipements ont atteint un bon niveau avec la réalisation
de nouvelles infrastructures, la rénovation des centres
urbains, la construction d'équipements sociaux de qualité.
Les priorités pour la santé et l'éducation
ont été respectées. La Jamahiriyyah s'est
attaquée au décalage du niveau de scolarisation
entre filles et garçons. En 1956, les lycées de
Tripoli et de Benghazi ne comptaient que 25 filles pour 2 500
garçons (la parité entre les sexes sera atteinte
en 1990). L'obligation scolaire a été imposée
jusqu'à l'âge de 16 ans pour les deux sexes. La
mixité est de rigueur dans le primaire. Malgré
un sous-peuplement relatif, des centres de planning familial
et des garderies ont été ouverts.
À la différence des pays pétroliers qui
ont canalisé une partie de leur rente vers le développement
économique, mais en essayant d'atténuer le changement
social de manière à favoriser les structures traditionnelles,
la Libye s'est délibérément engagée
dans la voie d'un progrès social "à l'occidentale".
Mais cette modernisation se heurte aux pesanteurs d'une société
bédouine quelque peu bousculée par le rythme des
transformations. La stupéfiante amélioration du
niveau de vie - qui a fait du Libyen l'homme le plus riche d'Afrique,
alors qu'il se trouvait parmi les plus pauvres dans las années
1950 - a évité l'hostilité à l'égard
d'une modernité imposée par l'État, mais
qui ne procède ni d'une réelle initiative individuelle
ni des aspirations du plus grand nombre.
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